Interview

L' Original : Trois questions à Emmanuel Moynot (03/2016)

Ci-dessus : Étude pour les personnages principaux.

Pouvez-vous nous dire deux mots sur l’affaire Rey-Maupin, qui vous a inspiré L’Original ?

Emmanuel Moynot : En 1994, deux jeunes gens fréquentant les milieux d’extrême gauche, Audry Maupin et Florence Rey,  braquent la pré-fourrière de Pantin, à l’instigation de Abdelhakim Dekhar. Leur but est de s’emparer des armes des gardiens et de les utiliser ensuite dans des attaques de banques. Dans leur fuite mal préparée, ils montent par la force à bord d’un taxi, l’obligent à les conduire place de la Nation. Cours de Vincennes, le chauffeur du taxi provoque un accrochage avec un véhicule de police pour attirer l’attention des policiers. S’ensuit une fusillade qui causera la mort du chauffeur, de trois policiers et d’Audry Maupin.

À l’époque, ce fait divers tragique a fortement marqué les esprits, dont le mien. J’ai toujours pensé en tirer quelque chose, mais il m’a fallu vingt ans pour m’éloigner suffisamment des faits réels et en faire une fiction.

Deux images extraites du storyboard : planches 66 et 67

Noirceur, extrémismes, désespoir… l’intrigue de l’Original se déroule en 1994 mais elle porte une réflexion très actuelle. Une manière de poser votre regard sur notre société ?

Emmanuel Moynot : Le récit noir, sous toutes ses formes, a toujours une résonance sociale. Je pense cependant que le point de vue d’un auteur est indépendant de sa volonté, qu'il ne peut pas s’asseoir à sa table un jour, décider consciemment de délivrer tel ou tel message, et élaborer une intrigue qui s’y prête. Mais s’il a une conscience sociale et politique, cette vision du monde se traduira dans le choix du sujet, et dans la façon de le traiter. Alors, oui, je porte certainement un regard sur aujourd’hui en parlant de cette époque peu lointaine, comme je le faisais en parlant des anarchistes de 1891 dans Le Temps des bombes, par exemple.

Rustine planche 27. Case changée pour une raison de lisibilité, après discussion avec Vincent Petit et Benoît Mouchart.

Vos influences sont littéraires, cinématographiques ou puisent leurs sources dans la vie réelle : comment vos projets émergent-ils ?

Emmanuel Moynot : Il est bien difficile de savoir comment nait un projet. C’est souvent la confluence de plusieurs envies qui s’entremêlent pour, petit à petit, prendre un sens qui me séduit. En l’occurence, la certitude dont je parlais précédemment d’exploiter un jour l’affaire Rey-Maupin, l’envie de continuer à dessiner et à faire évoluer un personnage que j’avais aimé dessiner dans un précédent ouvrage (L’homme qui assassinait sa vie, Casterman 2014) et une vieille fascination, héritée d’un épisode du Spirit de Will Eisner, pour les histoires de doppleganger, ce mythe germanique où un personnage et son double se détruisent réciproquement en se rencontrant. Audrey et Picot, dans mon esprit, sont les pôles positifs et négatifs de cet être hybride.

storyboard, planche 64

Rustine planche 25. Arme et main précisées pour des raisons évidentes de bâclage au 1er jet.

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